Le verdict du Conseil de la concurrence est enfin tombé dans le dossier inflammable des pratiques anticoncurrentielles des grandes compagnies pétrolières. Afriquia SDMC, société détenue par le Chef de gouvernement, le géant français TotalEnergies Maroc, Vivo Energy Maroc (Shell), Winxo, Ola Energy Maroc, Petrom, Petromin Oils, Ziz, Somap et leur organisation professionnelle (GPM) écopent d’une amende de 1,8 milliard de DH et s’engagent à déployer des mesures favorisant la transparence et le développement de la concurrence. Il aura donc fallu attendre 7 ans pour statuer sur les accusations à l’encontre des gros distributeurs de carburants. Inscrite dans le cadre d’une procédure transactionnelle, la décision de l’instance de régulation de la concurrence ne fait pas l’unanimité. Est-ce le début d’une nouvelle ère pour le secteur des hydrocarbures ?
1,84 milliard de DH. Une sanction pécuniaire record ! Jamais une telle amende n’a été prononcée par le Conseil de la concurrence. Il faut dire que dans ce dossier sensible des pratiques des sociétés pétrolières, le régulateur jouait sa crédibilité. Dossier qui avait coûté, à tort ou à raison, la place de son ex-président Driss Guerraoui. A noter que les opérateurs ont opté pour une procédure transactionnelle. Autrement dit, les décisions du Conseil, comme l’exige la procédure, ne seront pas contestées par les opérateurs mis en cause et bénéficieront d’une baisse de la moitié de la sanction encourue.
Dans le cadre de la procédure transactionnelle, les engagements souscrits par les sociétés pétrolières revêtent un caractère obligatoire et le suivi de leur exécution sera assuré par les services du Conseil de la concurrence. Parmi ces engagements, on peut citer la mise en place d’un programme de conformité au droit de la concurrence, l’établissement et l’envoi d’un état détaillé permettant le suivi de l’activité d’approvisionnement, de stockage et de distribution du gasoil et de l’essence par chaque société, le changement des prix, autant que de besoin, en fonction de l’évolution de l’offre et de la demande sur le marché, et selon le cycle d’approvisionnement, les contraintes de stockage, et la politique commerciale propre à chaque société.
Le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole juge l’amende infligé par le Conseil de la concurrence à neuf compagnies pétrolières de ridicule, puisque disproportionnée aux volumes de chiffres d’affaires réalisés par lesdites sociétés de 2016 jusqu’à aujourd’hui. Pis encore, le mouvement estime que les mesures annoncées par ledit conseil sont dépourvues des garanties et de la crédibilité nécessaires, dans un contexte de positions oligopolistiques, au sein du marché national des carburants.
Affilié à la Confédération marocaine du travail (CDT), le Syndicat national des industries du pétrole et du gaz avait enclenché une procédure contre les sociétés pétrolières auprès de l’autorité de la concurrence. Pour son secrétaire général, cette décision du Conseil de la concurrence est une victoire. Selon Houcine Yamani, c’est l’aboutissement d’une longue lutte menée pour protéger les intérêts des consommateurs marocains. Pour le syndicaliste, il est important que les différentes mesures annoncées par le Conseil soient respectées avec vigueur et rigueur.
Selon un juriste, la notion d’accord de transaction fait référence à un accord conclu entre les autorités compétentes chargées de l’application des lois sur la concurrence et les entreprises soupçonnées d’avoir enfreint les règles de concurrence. Cet accord vise à régler le différend de manière amiable, sans poursuivre l’affaire devant les tribunaux. Dans le contexte de l’annonce du Conseil de la concurrence, ces accords mettent fin aux procédures contentieuses. En acceptant de signer un accord de transaction, les sociétés pétrolières concernées reconnaissent généralement leur participation à des pratiques anticoncurrentielles et acceptent de mettre en œuvre les mesures correctives spécifiées dans l’accord.
Si la procédure d’enquête du Conseil de la concurrence a bien été respectée, cette fois-ci, et que les pénalités transactionnelles n’ont pas été contestées par les opérateurs pétroliers mise en cause, il demeure néanmoins un arrière-goût d’inachevé. Et surtout, un sentiment de disproportion entre le forfait et la punition. La libéralisation sauvage, sans régulation, actée en 2015, continue de nimber d’opacité les marges réelles des distributeurs.
Au-delà de son caractère dissuasif -le montant de l’amende est jugé plus que significatif par bon nombre d’observateurs-, la sanction pécuniaire de l’autorité de la concurrence, couplée aux engagements pris par les pétroliers, augure l’amorce d’une nouvelle phase pour le secteur, basée sur la transparence et le libre jeu de la concurrence. Il s’agit d’un nouveau schéma organisationnel dans lequel le régulateur aura, lui aussi, des comptes à rendre, puisqu’il va devoir produire des rapports d’évaluation de manière périodique.
Comment le Conseil de la concurrence pourra-t-il « mettre au pas » des entreprises qui se sont, de leur propre aveu, entendues sur les prix, qui ont régulé le marché, qui ont fait entrave à la libre concurrence ? Comment en aura-t-il les moyens, le fameux Conseil, sachant qu’avec tous les moyens humains, réglementaires, techniques, légaux, fiscaux… dont il dispose, l’État n’a pu assurer ce contrôle et ce suivi de 2015 à 2018 ?
« Amende transactionnelle ridicule de 1,8 milliard de dirhams infligée par le Conseil de la concurrence aux opérateurs des hydrocarbures ».
« Le prix d’achat du litre du carburant nous est imposé par les pétroliers. Le handicap dans ce secteur réside dans les lois qui l’encadrent. Il y a un vide réglementaire qui nous prive de la liberté contractuelle ».
Marché des hydrocarbures : Enfin une sanction. Quel impact sur les prix ?
Deux ans et demi après sa nomination à la tête du Conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou est parvenu au règlement du dossier très sensible de l’entente sur les prix des carburants.
C’est loin d’être un clap de fin ! Avec cette sanction de 1,8 milliard de DH infligée par le Conseil de la concurrence aux sociétés pétrolières mises en cause pour pratiques anticoncurrentielles, le sujet explosif de la gouvernance du secteur des hydrocarbures ne fait que commencer. Dans cette terrible affaire, il n’y a pas que l’entente sur les prix à la pompe. Les distributeurs de carburants ont même osé augmenter leurs marges dans un contexte de forte chute des cours à l’international. Rien que ça !
Les engagements pris par les compagnies pétrolières, dans le cadre de cette décision du gendarme de la concurrence, en matière de transparence et respect de la libre concurrence, peuvent-ils réparer les lourds dommages subis par les citoyens que nous sommes ? Tout le monde pense, en premier lieu, à l’impact sur le pouvoir d’achat. Et le préjudice moral ? Gouvernement, acteurs politiques et opérateurs économiques ont du pain sur la planche.
Quand on sait le poids du secteur stratégique des hydrocarbures et le profil des méga-entreprises qui le dominent, à commencer par la société leader, propriété du chef de gouvernement, et des firmes internationales de référence, le verdict de l’instance de régulation de la concurrence devrait s’accompagner par des décisions politiques audacieuses et fortes pour faire jouer réellement la libre concurrence. Tous les regards se tournent, bien entendu, vers le chef de l’Exécutif. Que va-t-il proposer pour faire tourner cette page sombre de l’économie marocaine ? Un autre test d’une extrême importance et sensibilité, qui intervient à mi-mandat, pour juger la capacité de Chef de gouvernement de se défaire de tout conflit d’intérêt qui lui colle à la peau, depuis qu’il a investi le champ politique. Si rien n’est fait, l’histoire retiendra l’affaire des hydrocarbures, comme l’un des plus gros scandales politico-économiques, qu’aura connu le Maroc.
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